Information médicale_001/Des nanoparticules tueuses de tumeurs
| rtdinfo |
NANOMéDECINE - Trois chantiers pour soigner et guérir Quels que soient les progrès très réels de la médecine, les chercheurs et les cliniciens se heurtent en définitive toujours aux mêmes obstacles : des maladies diagnostiquées trop tard, des médicaments pas assez efficaces ou efficaces mais toxiques et une incapacité à régénérer l’organe ou le tissu lésé par la blessure ou la maladie. Sur ces trois points, qu’il s’agisse de cancers, de maladies cardio-vasculaires, neurodégénératives ou immunitaires, ou encore de séquelles d’accidents, l’approche nano promet des percées décisives.
Voir in vivo
"Les agents contrastants classiques permettent de bien visualiser l’anatomie, mais sont peu performants pour l'évaluation des processus physiologiques ou moléculaires, explique Andreas Briel du centre de recherche de la société Schering en Allemagne. D’où l’intérêt des nanotechnologies qui permettent d’assembler un marqueur inerte identifiable par le dispositif d’imagerie et un ligand biologique capable de reconnaître un organe ou un type de cellule. Grâce à leur petite taille, de tels 'pisteurs' pénètrent mieux les tissus et augmentent la résolution des images." Laboratoires sur puces Le second est la généralisation des puces à ADN. Ces dispositifs in vitro permettent d’analyser en quelques heures l’expression génétique d’une cellule grâce à des oligonucléotides fixés sur un support solide, activant un signal lumineux ou électrique lorsqu’ils reconnaissent la séquence d’ADN complémentaire. Inconnues il y a encore une dizaine d’années, ces puces sont maintenant largement utilisées pour diagnostiquer les perturbations de l’expression génétique dans les cellules de très petits échantillons qu’il était impossible d’analyser par les méthodes classiques – par exemple dans le cas de biopsies exécutées sur des patients atteints de cancer gastrique. A terme, le but ultime de la nanomédecine est d’identifier la transformation tumorale dès la première cellule affectée. Un très long chemin reste à parcourir, mais l’on commence à en connaître le tracé. Les techniques permettant d’analyser rapidement les combinaisons protéiques de la surface cellulaire – pour y rechercher la signature des cellules tumorales – sont, en effet, à une phase de développement avancé. Elles utilisent des puces à protéines, qui fonctionnent sur le même principe que les puces à ADN, mais avec des anticorps reconnaissant des peptides exprimés à la surface des cellules cancéreuses en lieu et place des oligonucléotides.
La course à la miniaturisation pose, en effet, de redoutables problèmes techniques. Comme l’explique Jeremy Lakey, directeur scientifique de la société britannique Orla Proteine Technologies, "dès que l’on veut faire une interface entre des systèmes biologiques et des dispositifs électroniques, il faut que ces derniers aient le même ordre de grandeur que l’ADN, les membranes ou les protéines, c’est-à-dire à des échelles inférieures à 100 nanomètres. Cela implique de maîtriser, en parallèle, des modes de nanofabrication dans le domaine électronique." Le casse-tête de la délivrance Après le diagnostic, la thérapie. Sauf cas particulier (voir encadré Des nanoparticules tueuses de tumeurs), l’approche nano n'entraînera sans doute pas l’introduction d’approches thérapeutiques réellement nouvelles. En revanche, elle promet de bouleverser un point essentiel : la délivrance des médicaments. Pour qu’une molécule – issue de synthèses chimiques classiques ou concoctée grâce aux biotechnologies de pointe – soit efficace, il ne suffit pas qu’elle soit capable d’améliorer l’état d’un organe malade. Encore faut-il qu’elle y parvienne – et ce n'est pas évident pour des molécules de taille importante, comme les protéines.
La solution serait-elle d’utiliser de petites molécules circulant facilement dans le corps? On a pu le croire, mais "la lenteur des progrès dans le traitement de maladies comme le cancer par des molécules de faible poids moléculaire a conduit à changer de stratégie, en privilégiant la délivrance des médicaments directement dans les organes affectés", explique Costas Kiparissides, de l’université Aristote de Thessalonique (Grèce). La thérapie génique, sur laquelle on fondait tant d’espoir dans les années 1980, se heurte, elle aussi, à ce problème d’acheminement de l’ADN médicament jusqu’aux cellules cibles. A cette question scientifique s’ajoutent des considérations économiques. Comme le reconnaît volontiers Andreas Jordan, médecin et directeur de la société MagForce, "ces recherches sur la délivrance sont aussi un moyen de donner une seconde vie à des molécules tombées dans le domaine public, en changeant leur habillage." Ingénierie de transport Comment l’approche nano est-elle susceptible de bouleverser la délivrance des médicaments? Pour une raison géométrique très simple : à masse égale, plus une substance est contenue dans de petites particules, plus la surface totale possédant une activité biologique capable d’interagir avec les récepteurs situés à la surface cellulaire augmente. D’où l’immense intérêt de réduire la taille des systèmes envisagés pour transporter le médicament jusqu’à son organe cible, par exemple sous la forme de minuscules bulles d'encapsulation de la molécule thérapeutique formées d'une couche de lipides (micelles) ou de plusieurs couches (liposomes), ou encore d'enveloppes de polymères biodégradables hérissés d’anticorps reconnaissant les cellules à cibler… On entre là dans une ingénierie très fine des véhicules du "transport" moléculaire, qui doivent en même temps protéger les médicaments de la dégradation. Comme aime à le dire Richard Aljones, de l’université de Sheffield, "le plus beau succès des nanotechnologies que nous connaissions n’est autre que la cellule vivante, qui se bâtit seule par un processus d’auto-assemblage de ses composants." Pour construire ces dispositifs, une première approche est donc de s’inspirer des principes à l’œuvre dans les systèmes nanométriques du vivant, comme les ribosomes ou les complexes d’enzymes membranaires. A terme, on envisage même d’équiper ces nanoparticules de "commandes" de délivrance à distance, de manière à déclencher la libération du médicament (par exemple par ondes électromagnétiques ou stimulation infrarouge), une fois les véhicules parvenus à leurs cibles. La miniaturisation que permet l’approche nano a aussi un autre avantage : celui de permettre d’envisager des voies innovantes d’administration médicamenteuse, plus pratiques, efficaces, et/ou moins douloureuses : voie pulmonaire avec des aérosols de nanoparticules en suspension ou voie transdermale, notamment pour les patients inconscients. Auto-régénération
Différenciation cellulaire, matériaux intelligents Une autre voie s'ouvre également pour la maîtrise de la différenciation cellulaire, au cœur de la recherche sur les cellules souches. "Dans l’approche classique de thérapie cellulaire, les cellules sont cultivées en milieu liquide, ce qui limite leurs possibilités de différenciation. Nous cherchons à présent à les cultiver sur une surface solide recouverte à l’échelle nanométrique de combinaisons de protéines capables d’induire leur transformation en un type cellulaire désiré", explique Günter Fuhr, de l’Institut Fraunhofer pour l’ingénierie biologique (St Ingbert, DE) et coordinateur du projet européen CellPROM (Cell programming by Nanoscaled Devices). Enfin, comme on l’a vu à propos de la délivrance des médicaments, l'approche nano peut permettre la conception de matériaux "intelligents" capables d’adapter leurs comportements aux conditions biologiques locales ou à des stimulations extérieures. "De tels matériaux, utilisés comme matrice à la fois nutritive et structurelle, pourraient servir à multiplier des cellules saines pour ensuite les réimplanter dans l’organe malade", commente Alessandra Pavesio, de la société italienne Fidia Advanced BioPolymers, qui travaille sur l'application de ce principe pour la régénération du ménisque dans le cadre du projet européen Meniscus. Comme nombre d’industriels du secteur, Alessandra Pavesio souhaite que les réglementations européennes soient assouplies pour accélérer les tests cliniques des produits de la nanomédecine. David Rickerby, du Centre commun de recherche d'Ispra (Commission européenne - IT) estime cependant que "le cadre juridique actuel, qui ne fait aucune différence entre produits de la nanomédecine et produits classiques, est suffisamment flexible pour intégrer les innovations de ce type à leur stade actuel de développement, même si des évaluations régulières devront en être faites pour tenir compte des avancées scientifiques". Une fois n’est pas coutume, le droit ne serait donc pas pris de court par les bouleversements scientifiques et techniques attendus de la nanomédecine. |
|